Extrait 6 de l’épisode inédit des aventures de Lazare Donatien

Retrouvez ci-dessous l’extrait promis de l’épisode inédit des aventures des aventures de Lazare Donatien :

Le Cadeau de Lazare

Chapitre 6

Cela faisait presque un mois que Zephirii Zephiro et moi avions entrepris de rafraîchir le Manoir. Nous alternions avec les recherches pour lui permettre de réintégrer un corps humain, mais force était de constater que ce n’était pas chose aisée. Cependant, comme mon nouvel ami esprit n’avait pas d’enveloppe corporelle, je devais partager avec lui une grande part de ma force vitale pour que son aide soit efficace. Cela nous obligeait à faire de nombreuses pauses, et notre chantier n’avançait pas aussi vite que je l’aurais souhaité.

J’avais, en revanche, découvert que le Manoir avait appartenu à une longue lignée de Drockheads. Autre point à noter, mon défunt cousin qui, selon les constatations que j’avais pu faire çà et là, n’avait pas hérité du don familial, ne s’était pas retrouvé spolié pour autant. Il était devenu l’héritier unique d’une fortune des plus confortables de nos ancêtres communs, et ce bon vieux Manoir, restauré à plusieurs reprises au fil des siècles, en faisait partie. Autant vous dire, à ce point de l’histoire, que plus j’en découvrais, plus j’étais fasciné par cette demeure aux multiples secrets.

C’est toujours lors desdites recherches que je trouvai un registre des plus singuliers. Celui-ci retraçait l’histoire des Drockheads, non seulement ceux de ma famille, mais aussi ceux du monde entier. J’appris ainsi que j’étais l’un des tout derniers représentants de notre lignage sur Terre. Cela me fit un choc, car je pensais, en toute honnêteté, que nous étions plus nombreux.

Je comprenais à présent pourquoi mes parents avaient tant tenu à me former eux-mêmes, répondant à toutes mes questions sauf à celles concernant les autres Drockheads, me tenant à l’écart de mes semblables autant que possible. Grâce au registre, je compris à quel point mon cas était hors norme et susceptible de susciter de terrifiantes jalousies. Ce que j’avais toujours considéré comme normal ne l’était pas, loin de là. En effet, mes deux parents avaient été des Drockheads, et, d’après ce que j’avais lu, nous n’étions que trois enfants, depuis les premiers siècles de notre histoire jusqu’à aujourd’hui, à avoir été dans ce cas.

C’était peu, très peu ! Et, comme je l’ai dit, je comprenais soudain, avec une clarté nouvelle, les comportements de mes parents et, parmi tous, leur instinct protecteur surdéveloppé.

Bref, vous l’aurez deviné, à l’étude de ce précieux témoin de l’histoire de notre lignage, de nombreuses réponses s’imposèrent à moi, et beaucoup de choses devinrent plus limpides. Première information de choix : les deux premiers enfants dans mon cas avaient tous deux été assassinés par des fanatiques à cause de leur ascendance. Bien entendu, malgré la somme de détails trouvés dans le registre, la réponse la plus importante à mes yeux n’y figurait pas. À savoir : au nom de quoi ces pauvres enfants avaient-ils donc été sacrifiés ? Bon sang, j’aurais aimé en apprendre au moins un peu plus à ce sujet, j’étais tout de même concerné !

Une autre découverte fort plaisante vint s’ajouter à la liste – ceci surtout grâce à l’aide de mon nouvel ami, à qui j’avais confié la tâche d’explorer les moindres recoins du Manoir lorsque je ne lui prêtais pas ma force vitale. De nombreuses chambres secrètes, dissimulant toutes des fonctions en relation avec les activités des Drockheads, ainsi que de nombreux grimoires, avaient fait leur apparition. C’est d’ailleurs lors de l’exploration d’une de ces pièces que Zephirii Zephiro et moi fîmes une rencontre pour le moins déstabilisante.

Nous avions presque terminé de nettoyer la chambre la plus reculée du Manoir – ou du moins la plus reculée que mon aide provisoire ait pu trouver jusqu’alors – lorsque l’atmosphère se réchauffa soudainement.

Dans le même temps, je vis apparaître sous mes yeux ébahis la femme la plus magnifique et sculpturale qu’il m’ait été donné de voir dans ma vie.

– Qui êtes-vous ? articulai-je après quelques secondes d’un pesant silence.

– Miss Félicie Pindragon est mon nom. Je suis la grande administratrice d’Outremonde.

Ma bouche s’ouvrit et se referma, telle celle d’une carpe, tant je ne m’étais pas attendu à une telle visite. Bon sang ! Je savais, bien entendu, ce qu’était l’Outremonde – tous les Drockheads le savent –, mais je n’avais encore jamais eu de contact si direct avec cet aspect plus mystérieux, et plus sombre aussi, de ce don déjà si particulier.

– Je ne me présente pas en règle générale, mais votre cas est un peu singulier, Lazare Donatien, reprit la superbe créature, voyant qu’elle n’obtenait aucune réaction de ma part.

– Je suppose que vous faites référence aux circonstances de ma naissance, répliquai-je en rassemblant mes esprits.

– C’est exact, confirma-t-elle avec calme.

– Êtes-vous seulement venue vous présenter ? questionnai-je, dubitatif.

– Il est important que vous preniez conscience du caractère unique de votre position. Par ce simple fait, nous allons être amenés à travailler en collaboration directe. Ce qui n’est pas envisageable pour les autres Drockheads est nécessaire pour vous.

– Pour quelle raison, et pourquoi maintenant ? Cela fait trente ans que je foule cette Terre, pourquoi n’ai-je pas entendu parler de vous avant ?

– Ce Manoir, construit par vos ancêtres, possède – vous en aurez bientôt conscience – plusieurs portes donnant, entre autres, accès à l’Outremonde et au Cillín. Deux réalités pour lesquelles nous avons le devoir impératif de garder le secret.

– Qu’est-ce donc que le Cillín ?

– La prison des âmes condamnées à un châtiment. Ces âmes représentent une menace pour l’équilibre naturel, c’est pourquoi leur punition doit être choisie avant leur passage au-delà du portail. Seuls les gardiens d’Outremonde… et les Drockheads tels que vous peuvent y accéder.

– Je vois. Vous avez donc l’intention de me réserver les cas difficiles, c’est bien ça ?

– C’est une façon de voir les choses, oui.

– Parce qu’il y a plus ?

– Ce que nous allons vous demander désormais dépasse, en matière de dangers, ce à quoi vous avez été confronté jusqu’ici. Il convient de vous y préparer. Pour cela, je vous annonce que le conseil des Anciens d’Outremonde a décidé de vous assigner, à compter d’aujourd’hui, un esprit gardien qui aura pour tâche de veiller à votre sécurité.

– Ah, oui, bien sûr… Et si je ne veux pas de nounou ? questionnai-je à nouveau par principe, me doutant d’avance, hélas, de ce qu’elle allait dire.

– Nous ne vous laissons pas le choix.

Et… bingo. Fallait-il vraiment que tous les administrateurs soient aussi rigides et prévisibles ?

– Formidable…, grommelai-je. Vous me plaisez décidément de plus en plus, vous savez, Miss Pindragon ? rétorquai-je d’un air sombre.

– J’ai peur de ne pas saisir le compliment, répliqua-t-elle sans modifier d’un iota son expression de marbre.

– Ce doit être parce que ce n’en était pas un, marmonnai-je en guise de réponse.

Les yeux de la jeune femme s’étrécirent et s’embrasèrent d’une flamme intense l’espace d’une seconde, avant de retrouver leur indifférence de pierre.

– Je mettrai cela sur le compte d’une remarque désobligeante, messire Donatien. Ceci étant dit, ajouta-t-elle en soufflant dans la paume de sa main, voici votre nouveau gardien, conclut-elle en posant à terre l’espèce de feu follet qu’elle venait de faire apparaître.

Un « feu follet » qui, d’ailleurs, ne tarda pas à prendre forme humaine, la consistance corporelle en moins. Voilà donc ce qu’était un esprit gardien.

– Je suis Ezaël, monsieur, pour vous servir.

– Ok, Bill, enchanté de faire ta connaissance, ironisai-je, occultant sciemment le nom de ma « nounou » imposée. Mais, comme je viens de le dire à la dame, je n’ai pas besoin de gardien. Tu peux repartir d’où tu viens.

– Vous n’avez pas la compétence nécessaire pour renvoyer Ezaël, coupa l’administratrice. N’ai-je pas été suffisamment claire sur ce point ? termina avec hauteur la très peu amène Félicie Pindragon.

– Écoutez, fis-je en sentant grandir en moi le vent de l’irritation. Si vous tenez absolument à me coller quelqu’un dans les pattes, je vais garder l’esprit vagabond avec moi encore quelque temps, car lui, à l’inverse de votre gardien, m’est utile.

– Je ne peux vous laisser faire cela. Le cas de Monsieur Zephirii Zephiro a lui aussi été examiné, et il a été décidé qu’il avait suffisamment erré sans contrôle jusqu’alors. Je vais le ramener avec moi.

L’ex-valet me jeta un regard d’une tristesse immense. Il avait compris que son vœu le plus cher ne se réaliserait pas, et je dois vous avouer que cela me portait un sacré coup au moral. Appelez-moi vieux jeu si vous voulez, mais j’aimais respecter la parole donnée. Je tournai à nouveau mon regard vers l’administratrice et compris que rien de ce que je pourrais ajouter n’aurait d’effet.

– Allez au diable ! grinçai-je à son encontre, frustré. Je dus toutefois constater avec amertume que cette sortie ne la perturba pas le moins du monde.

– Je vais prendre congé pour aujourd’hui, mais nous sommes amenés à nous revoir dans un futur proche. J’espère, d’ici là, que vous aurez pris pleine conscience du rôle qui est le vôtre et de ce que l’on attend de vous.

– Oh, mais vos désirs sont des ordres, Madame, répliquai-je avec sarcasme.

Félicie Pindragon jugea bon de ne pas répondre à cette nouvelle pique et disparut comme elle était venue, emmenant le pauvre valet avec elle.

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