Extrait 7 de l’épisode inédit des aventures de Lazare Donatien
Retrouvez ci-dessous l’extrait promis de l’épisode inédit des aventures des aventures de Lazare Donatien :
Le Cadeau de Lazare
Chapitre 7
Nous étions en l’hiver de l’an 2000, plusieurs mois avaient passé depuis ma première rencontre musclée avec Miss Félicie Pindragon… et j’en étais déjà au troisième surveillant envoyé par Outremonde. Joli score, ma foi.
Était-ce ma faute, à moi, si pas un de ces pions de pacotille ne savait répondre à mes attentes ? Bon… pour être tout à fait honnête, je plaignais ces pauvres esprits, ils n’avaient pas mérité leur sort, et j’avais peut-être, je dis bien peut-être, un peu forcé certains traits de ma personnalité. À ma décharge, quelle autre option avais-je pour faire entendre mon opinion ?
L’administratrice et moi avions engagé une bataille dont je n’avais pas l’intention de sortir vaincu. De son côté, Miss Pindragon m’envoyait des cas suspects qui se présentaient à la chaîne, me laissant à peine le temps de réfléchir à la situation ou d’ajuster une tactique, ce qui était, bien sûr, le but inavoué de sa manœuvre.
J’avais appris que Félicie Pindragon appartenait à la très ancienne race des dragons et que les siècles n’altéraient pas son apparence, car, de mémoire d’esprit, elle avait toujours eu la même. Si son physique était impeccable, l’immortalité, elle, n’avait sans doute pas adouci son caractère, telle était, du moins, ma conviction intime.
Le jour où je fis la demande qu’on m’assigne un nouveau surveillant – car le précédent s’était révélé tout aussi insignifiant que ses prédécesseurs – fut celui où Félicie Pindragon choisit de refaire une apparition.
Un frisson glacial précéda son arrivée, puis l’atmosphère se réchauffa d’un coup. Ses yeux lançaient des éclairs, de minuscules flammes scintillaient sur sa peau, et une écaille scintilla brièvement sur sa joue. C’était une vision terrifiante pour quiconque n’y aurait pas été préparé, mais il ne serait pas dit que je serais de ceux-là. Je me forçai à déglutir rapidement plusieurs fois pour me calmer, décidé à gagner cette bataille et à ne pas me laisser intimider.
– Que me vaut le plaisir de vous revoir, ma chère ? demandai-je d’une voix qui ne vacillait pas.
– Ne jouez pas ce jeu avec moi, Lazare ! répliqua-t-elle tandis que je distinguais des grognements sourds dans le fond de sa voix. Vous savez très bien pourquoi je suis ici.
– Nous sommes condamnés à travailler ensemble, oui, oui, je me souviens. Et donc, quel bon vent vous amène aujourd’hui ? rétorquai-je en feignant l’innocence. Félicie Pindragon s’avança jusqu’à mon bureau et plaqua un papier sur le plan d’acajou d’un coup sec.
– Cette nouvelle requête signée de votre main est la raison de ma présence ! La mémoire vous revient ?
– Oh, très chère, ce n’est pas aimable de m’accuser ainsi. Je vous assure que ma mémoire fonctionne à merveille. Je me souviens d’avoir envoyé cette requête ce matin même, répliquai-je avec élégance, masquant ma satisfaction de voir son armure de rigidité accuser des failles.
– Vous maintenez donc vouloir réclamer un nouveau surveillant, le treizième, qui plus est ?!
– J’ai bien peur d’être tout à fait catégorique sur ce point, ma chère. Ce n’est tout de même pas ma faute si ces pauvres esprits se révèlent tous aussi insignifiants, n’est-ce pas ? Dois-je vous rappeler que c’est vous qui avez insisté pour me coller ces missions dans les pattes, hum ?
– Très bien…, reprit-elle en plongeant sur moi un regard aigu que j’eus – je dois bien l’avouer – le plus grand mal à soutenir sans broncher. Je vais vous envoyer un autre esprit, et je vous préviens, celui-ci sera le dernier.
– Vous voulez dire que si je renvoie celui-là aussi, vous abandonnerez cette idée de serviteur-secrétaire ? argumentai-je avec un grand sourire que la vénérable ancêtre balaya d’un prompt revers de main.
– C’est exact, et cela se fera à vos risques et périls. Vous êtes prévenu. Un dernier point : vous garderez celui-ci au moins sept jours pleins. Si vous le renvoyez au bout des sept jours, vous n’aurez plus de pions avec lesquels faire joujou. Si vous ne le faites pas, je considérerai que vous avez accepté ce dernier contrat.
– Marché conclu ! Envoyez-moi cette dernière recrue, qu’on en finisse, répondis-je en bondissant sur mes pieds.
Cette condition ne me demanderait pas beaucoup d’effort ; je gardais en général les recrues environ trois semaines avant de les renvoyer. Cela me permettait de préserver un semblant de crédibilité, même si nous savions tous deux qu’il s’agissait d’une mascarade de bout en bout.
– Comme vous voudrez, répliqua-t-elle en disparaissant aussi soudainement qu’elle était apparue.
Quelques instants plus tard, une légère volute fit irruption au centre du bureau, prenant rapidement la forme d’une silhouette que je connaissais bien. Félicie Pindragon m’avait renvoyé Zephirii Zephiro !
– Alors ça, je n’aurais pas cru cette diablesse capable d’un tel geste ! Je suis heureux de te revoir, mon ami ! fis-je en me levant pour aller à sa rencontre.
– Je suis moi aussi heureux de vous revoir, Monsieur, répondit-il en inclinant le buste, ses mains spectrales tremblant légèrement. Je stoppai net et m’assis sur le bord de mon bureau. Il y avait quelque chose de changé chez l’ex-valet.
– Allons, allons, pourquoi tant de civilités ? Pas de « Monsieur », mon ami, juste Lazare.
– Miss Pindragon m’a fait comprendre en termes très clairs que ma place est celle de votre valet, Monsieur. Je suis à présent chargé de rapporter vos faits et gestes à Outremonde, d’agir comme votre assistant et votre bouclier si besoin. Je n’ai pas été envoyé ici pour être votre ami, je le crains, et « espion » serait sans doute plus approprié.
Voilà donc à quoi s’était employée cette mégère ces derniers mois. Elle avait complètement lobotomisé le valet au naturel charmant et prévenant que j’avais connu. Mais au-delà de ça, je remarquai une peur latente dans son regard. Qu’avait-il donc vu à Outremonde pour changer à ce point ? Je me promis de creuser cette question plus tard. Pour l’heure, il fallait établir une relation de confiance ; je n’avais pas oublié ma promesse.
– Très bien, j’ai pris note du message, Zeph. Merci pour ta franchise, finis-je par répondre.
– Zeph, Monsieur ?
– Oui, j’ai décidé de t’appeler ainsi désormais. Tu admettras que Zephirii Zephiro, c’est un peu long, non ? Ne me dis pas que ton ancien maître t’appelait ainsi tout le temps ?
– Monseigneur Ferdinand utilisait Zephiro.
– Eh bien, moi, je préfère Zeph. Il va falloir retravailler cette spontanéité, mon ami. Je n’ai que faire d’un pantin.
– Je suis votre valet, Monsieur, pas…
– Pas mon ami, oui, j’ai compris la première fois. Mais je t’ai fait une promesse, et je n’aime pas manquer à celles que je fais. Si tu veux rester ici, il va falloir nous accorder, mon ami. Sans cela, aussi sûr que je m’appelle Lazare Donatien, dans sept jours, je te renvoie à Outremonde. Je vis la peur agrandir le regard de Zeph à cette seule pensée. Oui, quelque chose là-bas le terrifiait.
– Je ferai de mon mieux pour répondre aux exigences de Monsieur, finit-il par répondre, inclinant à nouveau le buste.
– À la bonne heure, et commence par supprimer les courbettes, ce sera déjà un bon début.
– Bien, Monsieur.